Le fonctionnement complexe des collateralized debt obligations (CDO) peut rendre délicat leur analyse au quotidien sans des outils informatiques rodés et maîtrisés par des opérateurs qualifiés.
La crise financière de 2008 est un exemple majeur du risque encouru lorsque l’innovation débridée en matière de titrisation précède l’établissement d’un système solide et systématique d’analyse du risque de crédit que représente ces instruments complexes.
La recherche constante de diversification pour obtenir les meilleures notations ont engendré des pratiques renforçant l’opacité analytique des CDO. Certains CDO allaient jusqu’à comprendre un éventail de garanties reposant sur 98 millions de mortgages, c’est à dire plus que le nombre total de prêts immobiliers résidentiels aux États-Unis à cette époque.
Le problème a culminé lorsque les opérateurs ont utilisé, parmi les tranches d’un CDO, non seulement des MBS, mais encore des tranches d’autres CDO, créant ainsi des boucles computationnelles qui ont rendu impossible leur analyse dans des temps raisonnables par les logiciels alors usités à l’époque, et notamment le très coûteux Intex.
Pour analyser le niveau de risque de crédit d’un CDO, et donc déterminer son rendement, il est nécessaire d’analyser toutes ses composantes. Or, certains actifs étaient doublés voire triplés au sein notamment des tranches dites « mezzanines ».
Les participants du marché des CDO se contentaient dès lors d’adopter des «raccourcis» comme la méthode de l’analyse obligataire, en attribuant à chaque tranche de CDO un risque de crédit donné. Cette méthode avait le désavantage de ne pas apprécier correctement la corrélation entre les risques de défaut des diverses composantes du CDO.
Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que les agences de notation aient été défaillantes dans leur rating des CDO. A l’aube de la crise, l’agence de notation Moody’s notait deux nouveaux CDO par jour ouvré1 .
Ces agences se reposaient en outre principalement sur des variantes de la « bond method » avec des estimations modestes de la corrélation du risque de crédit au sein des diverses composantes des CDO.
Contrairement à une conception commune, le danger lié à l’industrialisation des ABS/CDO était bel et bien connu avant l’avènement de la crise financière de 2008.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’excellente note de la Revue de la stabilité financière de la Banque de France, publiée juin 2005 par Olivier COUSSERAN et Imène RAHMOUNI, alors respectivement, au sein de la Banque de France, directeur des Études et des Statistiques monétaires et directrice pour la Coordination de la stabilité financière Service des Études sur les marchés.
Dans la conclusion de cette note, on peut lire: « Compte tenu des liens de plus en plus étroits entre le marché des CDO et les autres segments du marché de crédit, on peut dès lors craindre que d’éventuelles tensions affectant l’un d’entre eux se propagent vers les autres avec un effet amplificateur, accentuant ainsi les risques de contagion dans le système financier. Ceci est d’autant plus vrai que la liquidité et la transparence du marché des CDO comme du marché des CDS sont encore relativement limitées, ce qui constitue un handicap de nature à favoriser des fluctuations de prix brutales et à obérer, du même coup, la capacité de ces marchés à assurer une bonne redistribution des risques ».
La note identifie correctement tous les risques liés à cet instrument: Corrélation du risque de crédit, risque de montage et risque de modèle. Je ne peux donc que vous inviter à lire cette note d’une lucidité aujourd’hui étonnante car rédigée avant même la chute du marché immobilier américain fin 2006.
La faible performance des activités de trading, les rendements obligataires négatifs et l’augmentation de la puissance computationnelle des ordinateurs sont autant de facteurs qui expliquent le retour progressif des CDO constatés en Europe.
Les rendements actuariels des titres obligataires investment grade n’étant souvent positifs que sur le long terme, les investisseurs peuvent être tentés de souscrire sur le court terme des CDO pour continuer de proposer un rendement attractif à leurs clients.
Cependant, les CDO ne sont plus adossés à des prêts hypothécaires résidentiels mais à des prêts commerciaux. On parle de collateralized loan obligations ou CLO. Le volume de ce marché émergent s’élevait à environ 100 milliards d’euros en 20132 . Il représenterait aujourd’hui 750 milliards de dollars3 . Il s’agit d’une croissance remarquable qui touche toutes les zones géographiques.
Les CLO représentent un risque moins important que les CDO car les actifs utilisés à titre de collatéral sont plus diversifiés et leur risque réparti en fonction des divers secteurs où naissent les prêts qui constituent le collatéral. Toutefois, la Banque des règlements internationaux considère qu’une certaine corrélation des risques de défaut entre les diverses créances existe toujours, même si cet effet est moins aiguë que pour les CDO précédents la crise de 20084
.
Le rapide retour en bonne grâce de ces instruments chez les grandes banques n’est pas sans susciter de potentielles pénuries de profils experts de ces techniques de titrisation. Beaucoup de ces postes ont disparu depuis 2009 puisque le marché des CDO ne représentaient plus que 4,3 milliards de dollars (ibid). Surtout, la mauvaise réputation des CDO est telle qu’ils apparaissent parfois comme un épouvantail pour certains professionnels5 .
Pourtant, le comportement des acteurs du marché des CLO s’est grandement responsabilisé depuis 20086 . Le principe du « skin in the game » qui impose pour les gérants de CLO une participation dans ce-dernier à hauteur de 5% minimum, a été généralisé depuis la loi américaine Dodd-Frank Act. Certes, la règle a connu quelques soubresauts7 , mais il est vrai que les CLO avaient déjà bien mieux résisté à la crise de 2008 que les CDO, avec un taux de défaut de 4% seulement.
Malgré ces signes rassurants, les CLO restent, tout comme les CDO, des instruments hautement risqués, notamment pour les tranches « equity » qui ont un très fort rendement mais un taux de défaut plus important. Il est donc nécessaire de maintenir un niveau élevé de transparence pour ce secteur et de privilégier pour les investisseurs une diversification accrue de leurs placements.
IdéoLégis propose des contenus rédigés par la rédaction et par différents contributeurs partenaires. Les informations présentées le sont à titre purement indicatif, sans aucune garantie, expresse ou implicite, d’exhaustivité, de précision ou de fiabilité.