L’enregistrement téléphonique comme mode de preuve en matière de divorce pour violences conjugales ou harcèlement

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« En matière de divorce, la preuve se fait par tous moyens […]. Le juge ne peut écarter des débats un élément de preuve que s’il a été obtenu par violence ou fraude » (Cass. 1re civ., 17 juin 2009, nº 07- 21.796).

Les moyens de preuve utilisés par les conjoints doivent satisfaire à l'obligation de loyauté. Un époux ne peut ainsi pas verser aux débats « un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou par fraude » (article 259-1 du Code civil).

 

Un principe apprécié différemment par les juridictions civiles et pénales

 

En matière civile

Traditionnellement, le juge civil se refusait à accepter l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos dénoncés. Ce principe connaît désormais, nous le verrons plus loin, un fort tempérament devant le juge aux affaires familiales.

Sous le visa des articles 9 du Code de procédure civile (CPC) et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 7 octobre 2004 (Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, n° 03-12.653) a ainsi jugé que « l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue ». Le juge civil insistait sur l'exigence de loyauté de la preuve en tant qu'élément du droit au procès équitable, sous le visa de l'article 6 CEDH (Procès équitable) et non de l'article 8 CEDH relatif à la vie privée).

 

En matière pénale

En matière pénale, la preuve est libre. Les enregistrements téléphoniques devant le juge pénal sont donc admis.

Le raisonnement de la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi longtemps différé de celui de la deuxième chambre civile évoqué précédemment.

Cette position est bien illustrée dans un arrêt du 31 janvier 2007. En l’espèce, une épouse avait produit dans une procédure de divorce une attestation établie par une amie relatant de graves violences commises sur elle-même par son époux en état d'ébriété, alors qu’une conversation téléphonique captée à son insu relatait du caractère faux de cette attestation. Le mari, suite à la production de l’attestation, porte plainte et se constitue partie civile des chefs d'établissement d'attestation faisant état de faits matériellement inexacts et produit un procès-verbal d'huissier retranscrivant intégralement l'enregistrement de la conversation téléphonique entre lui-même et son épouse, dans laquelle celle-ci reconnaissait le caractère mensonger de l'attestation. La Chambre criminelle de la Cour de cassation, approuvant ainsi les juges du fond, considère que « ne méconnaît pas les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel qui, après en avoir contradictoirement débattu, admet comme mode de preuve, la production de l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, dès lors qu'elle est justifiée par la nécessité de rapporter la preuve des faits dont l'auteur de l'enregistrement est victime et par les besoins de la défense » (Cass. crim., 31 janv. 2007, n° 06-82.383, Bull. crim. 2007, n° 27, p. 100).

La chambre criminelle balaye donc utilement les arguments liés à la loyauté de la preuve chaque fois où cela apparaît justifié eu égard « aux besoins de la défense ».

 

Quid des violences conjugales ou du harcèlement devant le juge aux affaires familiales ?

L’opposition entre ces deux approches, civiles et pénales, a pu connaître quelques tempéraments, plutôt en faveur de la solution retenue par la chambre criminelle.

En effet, la Cour de cassation et la CEDH privilégient un examen de proportionnalité entre l'atteinte aux droits fondamentaux et la nécessaire et légitime préservation des droits du justiciable, y compris le droit de la preuve.

Il ressort ainsi de certains arrêts de la Cour de cassation qu'en cas de conflit entre le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée, le premier prévaut si les juges du fond caractérisent « la nécessité de la production litigieuse aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but recherché ».

Nous vous proposons quelques exemples de jurisprudences civiles et pénales illustratives en matière d’harcèlement moral ou de violences conjugales.

 

Production d'enregistrement afin de prouver des violences conjugales ou un harcèlement moral

En dépit d'une jurisprudence peu favorable aux victimes de violences conjugales ou de harcèlement de la part de leur conjoint, notamment devant le juge civil, la Cour d'appel de Paris a rendu le 23 mars 2021 un arrêt inédit en jugeant que : « L’enregistrement de conversations téléphoniques à l'insu de la personne enregistrée constitue en principe un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue. Il ne peut en être autrement que lorsque la production litigieuse est indispensable à l'exercice du droit à la preuve de la personne qui la verse aux débats et qu'elle est mise en œuvre de façon proportionnée au regard de l'objectif poursuivi et des intérêts antinomiques en présence (...) Ces conditions sont (...) satisfaites s'agissant des enregistrements effectués par Mme Y des seuls propos échangés à six reprises entre elle-même et son époux, dans l'intimité de leur vie privée et en présence de leur enfant commun âgé de vingt mois, à la seule fin d'étayer la vraisemblance des violences psychologiques et physiques invoquées à l'appui de sa demande de protection » (CA Paris, 23 mars 2021, n° 21/01409).

 

Précisions sur les enregistrements audios

- Crim. 31 janv. 2007, no 06-82.383 , Bull. crim. no 27 : l’époux en instance de divorce peut produire l'enregistrement d'une conversation téléphonique à l'insu de son épouse afin de démontrer la fausseté de l'accusation de violences graves portée contre lui par ladite épouse.

La Cour impose seulement que les droits de la défense soient respectés, comme l’enjoint l’article 427, alinéa 2, du Code de procédure pénale, c’est-à-dire que les parties aient été en mesure de débattre contradictoirement de la valeur probante de la preuve déloyale produite (Cass. crim., 11 juin 2002, nº 01-85.559, Bull. crim., nº 131, ; Cass. crim., 27 janv. 2010, nº 09-83.395, Bull. crim., nº 16).

- Crim., 31 janvier 2012, pourvoi n° 11-85464 : la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que les enregistrements audios obtenus à l’insu d’une personne sont recevables en justice en tant que preuve afin de porter plainte contre cette personne au titre d’infractions pénales dont elle se serait rendue coupable et sans que le droit au respect de la vie privée ni même la violation du secret professionnel puisse valablement constituer une limite ».

 

Production du journal intime

- Civ. 2e, 29 janvier 1997, n° 95-15.255, D. 1997. 296, note Bénabent : La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt de 1997, a admis qu'un mari produise aux débats, lors de l'instance en divorce, le journal intime et les lettres de son épouse (certes obtenues sans fraude ni violence), alors même que ces preuves portaient clairement atteinte au droit au respect de la vie privée de celle-ci.

La deuxième chambre civile a depuis lors confirmé sa jurisprudence (Civ. 2e, 6 mai 1999, n° 97-12.437, JCP 1999. II. 10201 ; D. 2000. 557).

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 13 mai 2008, req. n° 65097/01, N. N. et T.A. c/ Belgique, RTD civ. 2008. 650, obs. Marguénaud ; JCP 2008. I. 167, obs. Sudre) a jugé que la production de correspondance dans le cadre d'une procédure de divorce est soumise à deux conditions cumulatives : il faut que le détenteur de la correspondance n'en ait pas pris possession de manière irrégulière et que ces pièces ne soient pas couvertes par le secret professionnel.

 

Production de correspondances

Les correspondances par lettres ou par courriels (Civ. 1re, 18 mai 2005, no 04-13.745 , Bull. civ. I, no 213 ; AJ fam. 2005. 403 ), ou par SMS (Civ. 1re, 17 juin 2009, no 07-21.796 , Bull. civ. I, no 132 ; AJ fam. 2009. 298, obs. S. David), peuvent être produites, mais sous réserve de ne pas avoir été obtenues par fraude ou par violence.

 

Production de SMS

Dans un arrêt du 23 mai 2007 (Soc. 23 mai 2007, n° 06-43.209 , Bull. civ. V, no 85 ; D. 2007. 1598, obs. Fabre), la chambre sociale de la Cour de cassation a admis que le harcèlement sexuel puisse être prouvé par SMS: « Mais attendu que si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits S. M. S., dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur ».

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