Soumis par Jennyfer PILOTIN le Mardi 2 avril 2019 - 10:28
A l’origine dénommé « droit de poids », l’octroi de mer a été institué pour la première fois à l’entrée des régions ultra-marines françaises en 16701 .
Perçu par l'administration des douanes, l’octroi de mer s'applique dans les territoires d’Outre-mer de Guyane, de Martinique, de Mayotte et de La Réunion2 . Il vise les importations (quel que soit leur provenance)3 et les opérations de livraisons de biens4 effectuées à titre onéreux par des personnes qui y exercent des activités de production5 .
Sont donc exclues du champ de cette imposition les exportations6 , les importations de productions locales dans le cadre du marché des Antilles-Guyane7 , ainsi que les importations de biens bénéficiant des franchises applicables aux autres droits et taxes en vigueur8 .
En outre, certains conseils généraux (comme celui de Mayotte) ont la faculté d’exonérer ou de réduire le taux d’imposition appliqué à l’importation de certains types de biens. Également, peuvent être exonérées les importations mises à la consommation et les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des navires et aéronefs et de carburants (tracés / colorés) pour un usage professionnel.
Les taux d’octroi de mer interne et d’octroi de mer externe sont fixés par délibérations des conseils régionaux - ou de la Collectivité pour la Martinique -. À cet effet, peut être accordé ce qu’on appelle un différentiel d’octroi de mer qui va permettre de compenser les surcoûts de production qui pénalisent les industries locales par rapport aux importations.
Les produits bénéficiant de différentiels d’octroi de mer sont inscrits sur trois listes en fonction du niveau de différentiel d’octroi de mer dont ils bénéficient par rapport aux importations similaires, lesquelles sont en amont validées par la Commission européenne. Ce différentiel peut être de 10%, 20% ou 30%.
L’inscription d’un produit sur une de ces listes a pour conséquence de réduire la fiscalité sur les produits fabriqués localement sans modifier la fiscalité pesant sur les importations similaires. Le différentiel de taux permet de rétablir une partie de la compétitivité de la production locale sur son marché domestique9 .
L’adoption d’un tel dispositif poursuit deux objectifs : alimenter en ressources les budgets des collectivités, notamment pour les communes, et favoriser le développement des entreprises locales en instaurant des possibilités d’exonérations.
Si cette imposition a pour conséquence d'augmenter le prix des produits de consommation et de contribuer à la « vie chère » en Guadeloupe, Guyane, Martinique et à La Réunion, elle constitue cependant une ressource essentielle pour les collectivités ultramarines, représentant entre 34 % et 45 % des ressources fiscales des différentes régions, et même de 40 à 52 % pour les communes, d'après les chiffres fournis par la Direction générale des collectivités territoriales en 2017.
Communes | Départements | Régions | CTU | |
---|---|---|---|---|
Guadeloupe | 42.5 % | ----- | 40.7 % | ---- |
Martinique | 47.2 % | ---- | ---- | 11.6 % |
Guyane | 43.8 % | ---- | ---- | 15.5 % |
La Réunion | 36.2 % | ---- | 24.6 % | ---- |
Mayotte | 61.8 % | 26.0 % | ---- | ---- |
Source : Site gouvernemental des collectivités locales. Rapport sur les finances des collectivités locales en 2018 de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL)10 .
La nature d’une telle imposition interroge sur sa compatibilité aux principes et droits fondamentaux consacrés dans notre système juridique.
Premièrement, en droit de l’Union européenne, l’octroi de mer a d’abord été assimilé à une taxe d’effet équivalent à un droit de douane11 , avant d’être finalement réformé pour être applicable indistinctement aux productions locales et à l’importation de marchandises12 . Actuellement, cet impôt peut être aujourd’hui rangé dans la catégorie des impositions intérieures.
C'est donc bien sa nature particulière qui lui a valu d’être accusé de nuire à la libre circulation des marchandises et à l'Union douanière, ainsi qu'à l'article 110 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) qui interdit les impositions intérieures discriminatoires ou protectionnistes. L'article 349 TFUE relatif au statut des régions ultrapériphériques (RUP) permet toutefois d'instituer un régime dérogatoire à ces interdictions13 .
Deuxièmement, en droit interne, la constitutionnalité de l’octroi de mer a pu être remise en cause. Par deux arrêts du 27 septembre 2018 (Cass. com., 27 sept. 2018, n° 18-12.084 ; Cass. com., 27 sept. 2018, n° 18-11.363), la chambre commerciale de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité14 sur l’octroi de mer et l’octroi de mer régional15 , lesquels entraînent une différence de traitement entre les producteurs et les importateurs de la métropole et d’Outre-mer ainsi qu’entre ultra-marins eux-mêmes, du fait des exonérations accordées à certaines entreprises en raison de leur chiffre d’affaire et de certaines marchandises importées.
Les requérants soutenaient que le système des « différentiels de taux » entre l’octroi supporté par les importateurs et celui payé par les producteurs locaux porte atteinte au principe d’égalité devant la loi ainsi qu’au principe d’égalité devant les charges publiques
Le Conseil constitutionnel a conclu, le 7 décembre 2018, que l’octroi de mer était conforme à la Constitution : (§ 23) « En vertu des 1° à 3° de l’article 4 de la loi du 2 juillet 2004, les produits livrés dans les quatre régions ultramarines précitées sont exonérés d’octroi de mer lorsque ces biens sont destinés à l’exportation en dehors de certains de ces territoires. Toutefois, les produits avec lesquels ces biens entrent en concurrence, sur les marchés extérieurs, ne sont pas non plus soumis à l’octroi de mer. L’exonération prévue par ces dispositions vise donc, non à établir une différence de traitement entre ces derniers biens et les premiers, mais au contraire, à garantir l’égalité de traitement entre eux »16 .
Le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de l’octroi de mer, considérant que les différentiels de taxation des marchandises, selon qu’elles sont importées dans les DOM (les taux sont alors plus élevés) ou fabriquées localement (les taux tendent alors vers zéro), n’introduisent pas de « rupture caractérisée » entre les entreprises. Au contraire, pour justifier les exonérations de certaines importations, le Conseil constitutionnel a jugé que « ces dispositions visent à éviter que le coût de certaines activités se trouve augmenté par l'octroi de mer grevant le prix des importations indispensables à leur exercice. En les adoptant, le législateur, qui a ainsi entendu préserver la compétitivité de certains secteurs importants de l'économie locale ou limiter le coût de certaines missions de service public, a poursuivi un objectif d'intérêt général. La différence de traitement ainsi instaurée étant par ailleurs en rapport avec l'objet de la loi, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés »17 .
Autrement dit, pour protéger la production locale des importations – « le tissu économique local » selon ses termes -, le Conseil a estimé que la différence de traitement se justifiait par une différence de situation et que par conséquent, tenant compte de « ces difficultés particulières », le législateur a entendu poursuivre un objectif d’intérêt général.
Si cette question prioritaire de constitutionnalité avait semblé ouvrir un temps, un débat sur la pertinence ou non de réviser l’octroi de mer18 essentiel aux collectivités et régions d’Outre-mer19 , actuellement, force est de constater que la situation est revenue au statu quo ante.
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