Soumis par Jennyfer PILOTIN le Mercredi 19 décembre 2018 - 20:58
A partir de 2020, la fiscalité des spiritueux en Outre-mer sera alignée sur celle de métropole. Pour y parvenir, le montant de « la cotisation de Sécurité sociale pesant sur les rhums et alcools de cru produits et consommés dans les départements d'Outre-mer »1 augmentera progressivement sur une durée de six ans pour finalement atteindre le taux métropolitain. Retour sur une mesure qui affectera tout particulièrement les spiritueux locaux tels que les rhums traditionnels agricoles et les rhums traditionnels de sucrerie.
A l’origine, les mesures fiscales liées à la fiscalité des spiritueux en Outre-mer ont été adoptées pour préserver la filière « canne – sucre - rhum ».
La production locale de rhum des DROM-COM (en Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion) subit des contraintes spécifiques la rendant moins compétitive sur le marché français et international. Il s’agit avant tout de contraintes économiques pour lesquelles des inégalités ont pu être relevées, notamment face aux pays ACP. 2 . Tel est le cas par exemple du surcoût de la canne, des produits nécessaires au fonctionnement de l'exploitation agricole ou encore de la main d’œuvre. Ce surcoût pèse sur la filière du fait des contraintes réglementaires plus strictes liées à la fabrication, à l’environnement, aux normes sanitaires nationales et européennes3 …
Une taxation spécifique du rhum dit « traditionnel » est alors appliquée aux territoires ultra marins :
Pour pallier ces contraintes, l’Union européenne a autorisé la France à adopter un taux réduit concernant certaines taxes indirectes sur le rhum « traditionnel » produit par ses territoires d’Outre-mer4 . Le taux réduit se traduit par un droit d’accise5 portant sur le volume d’alcool pur commercialisé, s’ajoutant également, lors de leur mise à la consommation sur le marché, à celui de la TVA et celui de la Cotisation de Sécurité Sociale.
Le contingent annuel d’exportation6 autorisé est de 144 000 HAP (hectolitres d’alcool pur) pour l’ensemble des territoires ultra marins, lequel sera ensuite réparti selon un arrêté ministériel aux rhums produits en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion.
Le différentiel de taxation entre le droit d’accise en Hexagone et celui dans les DROM-COM multiplié par ce contingent détermine le montant de l’aide fiscale annuelle dont ils bénéficient.
Différentiel de taxation entre le rhum des DROM COM et les autres alcools en 2018 (en €/hectolitre d'alcool pur)7 . |
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Alcools | Rhum des territoires ultra marins | |
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Droits d'accises | 1741,04 | 871,01 |
Cotisation de sécurité sociale | 559,02 | 559,02 |
Total | 2300,06 | 1430,03 |
Différentiel de fiscalité | 870,03 € / Hectolitre d'alcool pur (HAP) |
A partir de 2020, le prix du rhum devrait en moyenne augmenter de 0,50 centimes tous les ans jusqu’en 2026.
Actuellement, un hectolitre de spiritueux est taxé 40 euros en Outre-mer, contre 578 euros en métropole. Avec l’adoption d’une telle mesure, la fiscalité du rhum d’Outre-mer s’alignera progressivement sur celle de la métropole au cours de ces six années8 .
L’alignement à la hausse de la fiscalité du rhum se veut une solution à un problème de santé publique selon le gouvernement.
En 2016, la Cour des comptes expliquait, dans son rapport sur les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool, que la grande accessibilité des rhums produits et vendus localement - liée à une fiscalité très avantageuse et permettant de proposer des prix de vente très bas - a pour conséquence de favoriser les consommations à risque chez les populations vulnérables. Par populations vulnérables, elle ciblait notamment les populations jeunes d’Outre-mer pour lesquelles la pratique d’alcoolisation ponctuelle importante serait en hausse sur ces territoires.
Pourtant, si une étude réalisée juillet 2016 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) sur l’usage des drogues en Outre-Mer mettait en évidence la consommation élevée d’alcool et de tabac sur ces territoires, elle affirmait que cette dernière restait bien globalement inférieure à celle de la métropole.
La plupart des études consultées allant de la période 2014-2018 s’accorde ainsi à reconnaître que les consommations de boissons alcoolisées (en premier lieu la bière puis en second lieu le rhum), à la fois chez la population adolescente et adulte, sont moins répandues dans les DROM-COM qu’en France métropolitaine.
En revanche, sur ces territoires, la part des accidents pour lesquels l’alcool est impliqué est bien plus élevée qu’en métropole. A la Réunion par exemple, le taux de mortalité lié à l’alcool sur l’île de l’Océan Indien est deux fois supérieur à celui constaté en France hexagonale.
Mais la décision d’augmenter la cotisation de Sécurité sociale pesant sur les rhums d’Outre-mer manque de cohérence.
Le 14 novembre 2018, la sénatrice de la Martinique Catherine Conconne s’est opposée à l’alignement des taxes sur les alcools forts en effectuant un parallèle avec la consommation du vin. « La France a protégé sa production viticole, son vin […] La France c’est le vin, nous dans nos pays c’est le rhum, et nous tenons à ce patrimoine […] Qu’en est-il de la fiscalisation du vin ? Est-ce un produit indemne de toute pathologie ? ».
En effet, comment expliquer que la fiscalité viticole soit aussi avantageuse et continue de bénéficier d’un privilège fiscal unique pour les boissons à base de vin, c’est-à-dire 13 fois moins taxées que les bières et 62 fois moins que les spiritueux ? Il s’agit pourtant de la boisson la plus consommée en France, dans un pays où l’alcool représente la deuxième cause de mortalité prématurée en France9 .
Dans les territoires ultra-marins où la culture vinicole est moins développée, le vin figure en bas de liste des boissons les plus consommées.
Répartition indicative de la consommation et de la fiscalité
des alcools en France (2013)
Consommation d'alcool pur |
Répartition (%) |
Fiscalité sur les alcools (millions d'euros) |
Répartition (%) |
|
Alcools et Spiritueux |
2,6 |
21,8 % |
2 699 |
81,4 % |
Vins |
6,9 |
58 % |
1201 |
3,6 % |
Bières |
2,1 |
17,7 % |
3952 |
11,9 % |
Autres |
0,3 |
2,5 % |
100 |
3,0 % |
Total |
11,9 |
100 % |
3 314 |
100 % |
1 Le produit intègre également les cidres et poirés, qui figurent dans la catégorie « autres « pour le chiffre d'affaires. |
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2 Le produit regroupe en fait les bières et les boissons non alcoolisées. Au titre de la seule bière, le produit serait plutôt de 300 millions d'euros |
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Source : Insee, commission des comptes de la sécurité sociale, calculs commission des affaires sociales |
La fiscalité comportementale10 doit s’effectuer de manière cohérente et unanimement sur l’ensemble du territoire français. En ne ciblant que la fiscalité des spiritueux en raison de problèmes de santé publique en Outre-mer, il semble que des objectifs ne soient que partiellement au rendez-vous…
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