Alignement de la fiscalité du rhum d'Outre-mer sur celle de la France métropolitaine

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A partir de 2020, la fiscalité des spiritueux en Outre-mer sera alignée sur celle de métropole. Pour y parvenir, le montant de « la cotisation de Sécurité sociale pesant sur les rhums et alcools de cru produits et consommés dans les départements d'Outre-mer »1 augmentera progressivement sur une durée de six ans pour finalement atteindre le taux métropolitain. Retour sur une mesure qui affectera tout particulièrement les spiritueux locaux tels que les rhums traditionnels agricoles et les rhums traditionnels de sucrerie.

A l’origine, les mesures fiscales liées à la fiscalité des spiritueux en Outre-mer ont été adoptées pour préserver la filière « canne – sucre - rhum ».

La production locale de rhum des DROM-COM (en Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion) subit des contraintes spécifiques la rendant moins compétitive sur le marché français et international. Il s’agit avant tout de contraintes économiques pour lesquelles des inégalités ont pu être relevées, notamment face aux pays ACP. 2 . Tel est le cas par exemple du surcoût de la canne, des produits nécessaires au fonctionnement de l'exploitation agricole ou encore de la main d’œuvre. Ce surcoût pèse sur la filière du fait des contraintes réglementaires plus strictes liées à la fabrication, à l’environnement, aux normes sanitaires nationales et européennes3

Une taxation spécifique du rhum dit « traditionnel » est alors appliquée aux territoires ultra marins :

Pour pallier ces contraintes, l’Union européenne a autorisé la France à adopter un taux réduit concernant certaines taxes indirectes sur le rhum « traditionnel » produit par ses territoires d’Outre-mer4 . Le taux réduit se traduit par un droit d’accise5  portant sur le volume d’alcool pur commercialisé, s’ajoutant également, lors de leur mise à la consommation sur le marché, à celui de la TVA et celui de la Cotisation de Sécurité Sociale.

Le contingent annuel d’exportation6  autorisé est de 144 000 HAP (hectolitres d’alcool pur) pour l’ensemble des territoires ultra marins, lequel sera ensuite réparti selon un arrêté ministériel aux rhums produits en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion.

Le différentiel de taxation entre le droit d’accise en Hexagone et celui dans les DROM-COM multiplié par ce contingent détermine le montant de l’aide fiscale annuelle dont ils bénéficient.

Différentiel de taxation entre le rhum des DROM COM et les autres alcools en 2018 (en €/hectolitre d'alcool pur)7 .

  Alcools Rhum des territoires ultra marins 
Droits d'accises 1741,04 871,01
Cotisation de sécurité sociale 559,02 559,02
Total 2300,06 1430,03
Différentiel de fiscalité 870,03 € / Hectolitre d'alcool pur (HAP)

 

A partir de 2020, le prix du rhum devrait en moyenne augmenter de 0,50 centimes tous les ans jusqu’en 2026.

Actuellement, un hectolitre de spiritueux est taxé 40 euros en Outre-mer, contre 578 euros en métropole. Avec l’adoption d’une telle mesure, la fiscalité du rhum d’Outre-mer s’alignera progressivement sur celle de la métropole au cours de ces six années8 .

L’alignement à la hausse de la fiscalité du rhum se veut une solution à un problème de santé publique selon le gouvernement.

En 2016, la Cour des comptes expliquait, dans son rapport sur les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool, que la grande accessibilité des rhums produits et vendus localement - liée à une fiscalité très avantageuse et permettant de proposer des prix de vente très bas - a pour conséquence de favoriser les consommations à risque chez les populations vulnérables. Par populations vulnérables, elle ciblait notamment les populations jeunes d’Outre-mer pour lesquelles la pratique d’alcoolisation ponctuelle importante serait en hausse sur ces territoires.

Pourtant, si une étude réalisée juillet 2016 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) sur l’usage des drogues en Outre-Mer mettait en évidence la consommation élevée d’alcool et de tabac sur ces territoires, elle affirmait que cette dernière restait bien globalement inférieure à celle de la métropole.

La plupart des études consultées allant de la période 2014-2018 s’accorde ainsi à reconnaître que les consommations de boissons alcoolisées (en premier lieu la bière puis en second lieu le rhum), à la fois chez la population adolescente et adulte, sont moins répandues dans les DROM-COM qu’en France métropolitaine.

En revanche, sur ces territoires, la part des accidents pour lesquels l’alcool est impliqué est bien plus élevée qu’en métropole. A la Réunion par exemple, le taux de mortalité lié à l’alcool sur l’île de l’Océan Indien est deux fois supérieur à celui constaté en France hexagonale.

Mais la décision d’augmenter la cotisation de Sécurité sociale pesant sur les rhums d’Outre-mer manque de cohérence.

Le 14 novembre 2018, la sénatrice de la Martinique Catherine Conconne s’est opposée à l’alignement des taxes sur les alcools forts en effectuant un parallèle avec la consommation du vin. « La France a protégé sa production viticole, son vin […] La France c’est le vin, nous dans nos pays c’est le rhum, et nous tenons à ce patrimoine […] Qu’en est-il de la fiscalisation du vin ? Est-ce un produit indemne de toute pathologie ? ».

En effet, comment expliquer que la fiscalité viticole soit aussi avantageuse et continue de bénéficier d’un privilège fiscal unique pour les boissons à base de vin, c’est-à-dire 13 fois moins taxées que les bières et 62 fois moins que les spiritueux ? Il s’agit pourtant de la boisson la plus consommée en France, dans un pays où l’alcool représente la deuxième cause de mortalité prématurée en France9 .

Dans les territoires ultra-marins où la culture vinicole est moins développée, le vin figure en bas de liste des boissons les plus consommées.

Répartition indicative de la consommation et de la fiscalité
des alcools en France (2013)

 

Consommation d'alcool pur
(litres par habitant)

Répartition

(%)

Fiscalité sur les alcools

(millions d'euros)

Répartition (%)

Alcools et Spiritueux

2,6

21,8 %

2 699

81,4 %

Vins

6,9

58 %

1201

3,6 %

Bières

2,1

17,7 %

3952

11,9 %

Autres

0,3

2,5 %

100

3,0 %

Total

11,9

100 %

3 314

100 %

1 Le produit intègre également les cidres et poirés, qui figurent dans la catégorie « autres « pour le chiffre d'affaires.

Le produit regroupe en fait les bières et les boissons non alcoolisées. Au titre de la seule bière, le produit serait plutôt de 300 millions d'euros

Source : Insee, commission des comptes de la sécurité sociale, calculs commission des affaires sociales

La fiscalité comportementale10  doit s’effectuer de manière cohérente et unanimement sur l’ensemble du territoire français. En ne ciblant que la fiscalité des spiritueux en raison de problèmes de santé publique en Outre-mer, il semble que des objectifs ne soient que partiellement au rendez-vous…

  • 1Assemblée Nationale, Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), 24 octobre 2018, Amendement n°1556.
  • 2 Pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP)
  • 3En tant que partie intégrante de l'Union européenne et de l'Union douanière, les territoires ultra marins sont soumis au tarif douanier extérieur commun et relèvent de la politique commerciale commune.
  • 4Article 1er de la décision n° 189/2014/UE du Conseil européen. V. Décision no 189/2014/UE du Conseil du 20 février 2014 autorisant la France à appliquer un taux réduit concernant certaines taxes indirectes sur le rhum « traditionnel » produit en Guadeloupe, en Guyane française, en Martinique et à La Réunion et abrogeant la décision 2007/659/CE (JO L 59 du 28.2.2014, p. 1).
  • 5Les droits d'accises sont des taxes indirectes sur la vente ou l’utilisation du tabac, de l'alcool, du pétrole et ses dérivés... Il s’agit généralement d’un montant par quantité de produit, par ex. par kg, par hl, par degré d’alcool…(Commission européenne, Fiscalité et Union douanière, Droits d'accises sur l'alcool, le tabac et l'énergie, Aperçu général : https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/excise-duties-alcohol-tobacco-energy/general-overview_fr ).
  • 6Quantité de marchandises prévue par un contingentement qui est une pratique visant à limiter l’importation ou la distribution d’un produit. La pratique relative au rhum a été instituée pour la première fois par une loi du 31 décembre 1922 sur l'importation des rhums coloniaux en France en raison d’une crise de surproduction du rhum et des eaux de vie en 1920-1921. L’abondance des alcools sur le marché avait entraîné un effondrement des cours et des faillites. V. R. de MAILLARD, Le régime du contingentement des rhums coloniaux, thèse pour le doctorat, Faculté de droit Bordeaux, 14 juin 1934.
  • 7Douane : Fiscalité réduite applicable aux rhums produits par les DOM, 29 décembre 2017, Douane.gouv.fr
  • 8Modifications successives par année à prévoir de l’article L 758-1 du CSS.
  • 9INSERM : en 2009, 49 000 décès étaient imputables à l’alcool en France, dont 22% des décès des 15-34 ans, 18% des décès des 35-64 ans et 7% des décès après 65 ans.
  • 10La fiscalité comportementale désigne un ensemble de taxes dont la finalité est d’influencer les comportements des consommateurs pour les détourner de pratiques jugées nocives pour leur bien-être. https://www.strategie.gouv.fr/publications/leffet-taxes-comportementales Le prix peut être déterminant dans la consommation : par exemple, le prix du tabac puisse être déterminant dans le fait de passer de fumeur occasionnel ou expérimentateur à fumeur régulier.
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