Assignation en partage de succession: La fragile exigence des diligences préalables

article-image-illustration

Nul besoin de lire la loi en filigrane pour remarquer qu’il existe, en matière de succession,  une inclinaison du législateur en faveur des modes amiables de règlement des différends. 

L’article 1360 du Code de procédure civile en est la parfaite illustration: cet article dispose que l’acte d’assignation en succession-partage doit contenir, sous peine d’irrecevabilité, « les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ». 

Cette obligation n’est pas sans contrarier la partie demanderesse à l’instance qui, lançant promptement l’action en succession-partage, ne se serait pas évertuée à formaliser ces diligences à l’écrit ou tout du moins à préconstituer la preuve de telles démarches. 

Toutefois, un examen attentif du texte et de la jurisprudence doivent apporter un prompt tempérament à la force de cette exigence. 

 

Une condition superficielle mais impérative.

Tout d’abord, le texte de loi ne précise ni la nature, ni la teneur de ces diligences. Des requêtes écrites, qu’elles soient fantomatiques ou au contraire extravagantes, sont toutes susceptibles de satisfaire à cette règle procédurale. 

Encore faut-il, certes, que ces diligences existent et, ingrédient qui ne doit pas être oublié, qu’elles soient réalisées « en vue de parvenir à un partage amiable ». 

En effet, si les correspondances trahissent uniquement des étapes largement antécédentes au partage stricto sensu, telles qu’un premier rapprochement entre les parties ou encore des démarches d’évaluation des biens inclus dans la succession, le juge pourrait théoriquement accueillir favorablement une fin de non-recevoir tirée du non-respect de l’article 13601 .  

Cette sanction interviendrait légitimement, sauf à considérer que de telles démarches d’évaluation ou de rapprochement sont accomplies « en vue de parvenir à un partage amiable ». 

Sur ce point, le consensus jurisprudentiel ne peut être discerné clairement. Les juges du fond semblent pencher en faveur d’une interprétation extensive de cette expression.

 

Une fin de non-recevoir bien encadrée par les juges du fond. 

C’est ainsi que, sans ignorer l’expression « en vue de parvenir à un partage amiable », certaines juridictions du fond valident rondement les assignations faisant mention de courriers parfaitement antérieurs à toute tentative de partage amiable. 

Cette posture est contraire à l’optique de l’article 1360, qui est de ne pas engorger les tribunaux de procédures qui, avec un minimum d’initiatives, auraient pu trouver une solution composée amiablement. 

Écartant l’interprétation téléologique de l’article susdit, ces juges invoquent le principe de l’article 815 du Code civil selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué [...] ». 

Ainsi, emprunts de cette philosophie, les magistrats peuvent trancher en faveur de la partie demanderesse même dans le cas où toutes les correspondances présentées ont été écrites de la main des défendeurs, ou encore lorsqu’aucune des correspondances n’a été adressée au défendeur ou à son conseil. 

Cette position n’est pourtant pas dénuée de fondement. Le problème réside dans la rédaction de l’article 1360 du Code de procédure civile, qui ne précise rien quant aux destinataires ou initiateurs de ces diligences. Serait-ce potentiellement le demandeur à l’instance, le défendeur ou même le notaire instrumentaire qui devrait être à l’origine des diligences ?

A défaut de précisions, les juges du fond ont toute latitude pour se replier sur la règle générale, c’est à dire la liberté de sortir de l’indivision. Quitte à vider le texte de l’article 1360 de toute sa substance et quitte à valider au contraire une approche judiciaire du partage. 
 

Une condition en théorie régularisable...

Dans un second temps, c’est le traitement post-assignation de l’éventuelle irrégularité qui constitue le vrai tempérament à la force de cette exigence. 

En effet, dans presque tous les cas, l’omission de ces pièces dans l’acte d’assignation ne fera pas obstacle à la prospérité de la demande: L’omission est simplement constitutive d’une fin de non-recevoir qu’il est possible de régulariser en cours d’instance en vertu de l’article 126 du Code de procédure civile, selon lequel l’irrecevabilité est écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue2

À cette étape également, il faut que ces diligences existent et qu’elles aient été effectuées « en vue de parvenir à un partage amiable ». Nous retombons donc sur la question initiale qui est de savoir quelles diligences sont susceptibles de satisfaire à la condition de l’article 1360 du Code de procédure civile. 

Quoiqu’il en soit, alors que de nombreuses décisions en appel ont apporté plus d’ombre que de lumière sur le sujet de la régularisation, un récent éclairage de la Cour de cassation permet de clarifier un peu plus cette problématique de la régularisation de l’omission des diligences dans l’acte d’assignation. 
 

… sous réserve de l’existence de diligences réellement préalables à l'assignation 

La première chambre civile a considéré que l’exigence de diligences préalables « n'est pas susceptible d'être régularisée par la signification, postérieure à l'assignation, d'une sommation interpellative adressée au coïndivisaire »3 .

Eu égard à la nature de la diligence - une sommation interpellative - , il faut voir dans ce considérant une admission de cette régularisation seulement lorsque la sommation aura été accomplie antérieurement à l’assignation. 

Dès lors, il ne s’agirait que d’inclure dans les conclusions et dans le bordereau de pièces jointes les diligences préalables à l’assignation, qui auront été simplement omises dans l’acte introductif d’instance. 

Cette décision de rejet de la première chambre civile semble prohiber toute régularisation de cette mention lorsqu’il n’y avait rien à mentionner au moment de l’assignation, faute de diligences « entreprises ».

Cette exigence ne trouve pas à s’appliquer pour les deux autres conditions de l’article 1360 du Code de procédure civile, à savoir, la présence d’un descriptif sommaire des biens et la précision des intentions du demandeur à l’instance. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de valider de telles régularisations même quand ces intentions ou le descriptif est ultérieur à l’assignation. 

Toujours est-il que, grâce à la plume des hauts-magistrats de l'Ordre judiciaire, l’article 1360 a pu reprendre des couleurs, bien que sa rédaction laconique semble le destiner à un énième examen par ces mêmes magistrats. 

  • 1Sur la qualification de fin de non-recevoir: V. Cass. , avis, 13 févr. 2012: Bull. civ., no 1; BICC 15 mars 2012, p. 5, rapp. Leroy-Gissinger, obs. Lathoud
  • 2Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-50.049, FS-P+B+I
  • 3Civ. 1re, 21 nov. 2016, n° 15-23.250
Successions Droit de la famille Partage Donations Assignation Procédure civile

IdeoLegis propose des contenus rédigés par la rédaction et par différents contributeurs partenaires. Les informations présentées le sont à titre purement indicatif, sans aucune garantie, expresse ou implicite, d’exhaustivité, de précision ou de fiabilité.